Une foire immobilière israélienne a eu lieu mardi dans une synagogue montréalaise. Pivot a infiltré l’événement et a pu constater qu’on y proposait des propriétés luxueuses à des prix réduits et qu’on assurait que tout cela était légal.
Un groupe de compagnies immobilières israéliennes et américaines a débuté cette semaine une tournée nord-américaine afin d’informer les Canadien·nes et les Américain·es des propriétés en vente en Israël.
Certaines de ces propriétés se trouvent sur le territoire palestinien de Cisjordanie, dans des colonies considérées comme illégales sous le droit international, comme Neve Daniel, Ma’aleh Adumim et Efrat.
Pivot s’est présenté à cette foire immobilière, qui avait lieu mardi dans la synagogue espagnole et portugaise Shearith Israël, dans Côte-des-Neiges à Montréal. La journaliste a prétendu récolter de l’information pour sa mère fictive, d’origine israélienne et habitant en France, qui voudrait acheter une propriété en Cisjordanie.
Luxueux et abordable
Une agente immobilière sur place ne se cache pas de vendre des biens immobiliers dans plusieurs colonies, dont celle d’Efrat. « C’est une ville à côté de Jérusalem, c’est une banlieue », affirme-t-elle. « Efrat […] est une très très bonne communauté. C’est très anglophone, tout le monde sait parler anglais et c’est une ville multilingue. »
L’agente nous propose un nouveau développement immobilier luxueux à Efrat, qu’elle dépeint comme une « ville dans une ville » avec beaucoup de sécurité et surtout beaucoup d’intimité. « Si vous voulez un nouveau développement, j’ai ce nouveau projet qui sera prêt dans 32 mois », nous offre-t-elle.
« C’est très très beau. C’est à Efrat. C’est dans la nature, il y a beaucoup de champs. Il y a 32 maisons. Ça va de six pièces à beaucoup plus. Certaines ont des piscines, et c’est chauffé », dépeint-elle.
Les nouvelles constructions sont dotées d’une pièce sécurisée en cas d’attaque : c’est un avantage comparé aux anciens projets, selon l’agente. Ces « mammads » sont en effet obligatoires dans toutes les nouvelles résidences en vertu de la loi israélienne.
« Efrat est une très très bonne communauté. »
Une agente immobilière
L’agente nous dit que les prix sont deux fois moins chers en Cisjordanie occupée qu’ailleurs en Israël.
Ainsi, certaines personnes s’installent dans les colonies pour revendiquer le territoire de la Cisjordanie en tant que terre israélienne, tandis que d’autres s’y installent en effet aussi pour les logements plus abordables.
De plus, nous explique l’agente, il est avantageux pour les personnes de l’étranger d’acheter en Efrat, comme elles seraient exemptées de taxes à l’achat. « C’est moins cher de 8 % », informe-t-elle.
Les avocats présents à d’autres kiosques de la foire insistent aussi sur cette opportunité. « Si c’est Efrat, c’est mieux que [ta mère] n’achète pas, mais que toi tu achètes », nous conseille l’un deux.
Nous posons des questions sur les perspectives économiques du marché immobilier en Israël. « Israël est un super investissement, les prix vont toujours augmenter », assure l’avocat.
C’est que la demande dépasse largement l’offre disponible, explique-t-il. « Tous les juifs veulent venir en Israël », affirme-t-il. « Dieu merci, nous sommes une grande nation, mais Israël est un petit pays, il n’y a juste pas assez de place. »
Légal?
Selon le second avocat, l’achat de certaines propriétés en Cisjordanie serait tout à fait légal.
« Ça dépend de l’endroit en Cisjordanie, mais si tu achètes à Efrat, c’est 100 % légal. Tu peux avoir une hypothèque dans toutes les banques israéliennes », nous dit-il
Les colonies israéliennes en Cisjordanie sont illégales au regard du droit international, puisqu’elles sont situées au-delà de la « ligne verte », la frontière d’Israël qui avait été établie après la guerre de 1949. Toutefois, Israël autorise et encourage certaines de ces colonies dans des territoires occupés depuis la guerre des Six Jours en 1967.
Il y a une distinction à faire entre certaines colonies en Cisjordanie qui sont reconnues par Israël, au nombre d’environ 140, et les avant-postes, en nombre à peu près équivalent ou supérieur, selon les sources, qui ne sont pas officiellement reconnus par l’État hébreu, mais qui sont tout de même protégés par l’armée.
« Ma’aleh Adumim et Efrat, ils ne les récupéreront jamais. »
Un avocat
« Tous les endroits situés au-delà de la ligne verte ne sont pas ok, mais à Efrat, vous pouvez acheter en toute tranquillité », nous rassure encore le deuxième avocat.
Nous interrogeons ensuite les avocats au sujet d’une autre colonie israélienne située en Cisjordanie, Ma’aleh Adumim. Il s’agit de la troisième plus grande colonie israélienne reconnue par l’État, mais non par le droit international.
« C’est un excellent endroit aussi, tu peux être confortable là-bas », assure le second avocat.
Le premier avocat intervient alors. « Ta mère veut être au-delà de la ligne verte? » demande-t-il.
« Elle est sioniste, oui? » répond son collègue.
« Parce que Ma’aleh Adumim est loin de la ligne verte, tu sais? » met en garde le premier avocat.
« Ma’aleh Adumim fait partie de Jérusalem », rétorque l’autre.
Nous nous informons ensuite sur la sécurité dans les colonies. « Tu veux dire : est-ce qu’ils vont récupérer [ces terres] un jour? » reformule le premier avocat, parlant vraisemblablement des Palestinien·nes de la région, déplacé·es au profit des avancées israéliennes.
« Ma’aleh Adumim et Efrat, ils ne les récupéreront jamais. »
Manifestation contre les « terres volées »
Devant la synagogue, des manifestant·es sont venu·es dénoncer la foire immobilière, à l’invitation du groupe Voix juives indépendantes (VJI) et du Mouvement de la jeunesse palestinienne (MJP).
« Pas de terres volées dans nos synagogues », clamait l’invitation à manifester.
« Cette logique est une logique coloniale, c’est un projet qui est expansionniste, qui essaie de ramasser le plus de territoire possible et de coloniser le territoire », dénonce Sarah Boivin, de VJI.
« Ce n’est pas du tout surprenant », selon une autre manifestante nommée Sarah, membre du MJP. « Nous savons que le régime sioniste s’appuie sur le soutien matériel, politique, idéologique et diplomatique des gens et des régimes occidentaux. »
« Ils vendent des terres palestiniennes dans des territoires illégalement occupés depuis des années. Ce n’est pas quelque chose de nouveau qui aurait commencé le 7 octobre. C’est quelque chose qui dure depuis très longtemps », explique-t-elle.
« Je pense que ce que nous voyons vraiment ici, ce qui est au cœur du problème, c’est que les sionistes ne reconnaissent pas le droit international. En fait, depuis des années, ils essaient de miner le droit international », critique Sarah.
« Les gens sont atterrés qu’une ville comme Montréal puisse assister les bras croisés à la vente de terres illégales en Cisjordanie », déplore-t-elle.
« Pas de terres volées dans nos synagogues »
Appel à manifester
« En tant que Juifs, c’est déchirant de voir de tels événements se produire dans des synagogues », déplore aussi Sarah Boivin, de VJI. « Nous faisons cela par amour du judaïsme. Nous reprenons notre judaïsme des mains du sionisme. »
« Durant la dernière semaine, nous avons mené une campagne demandant aux citoyens inquiets d’envoyer un courriel aux responsables de ces événements à Montréal et à Toronto. Nous avons demandé aux synagogues d’être des leaders pour la justice, de rassembler les communautés et de ne pas semer la division en accueillant ces événements », raconte-t-elle.
« Mais elles n’ont pas annulé l’événement. »
La synagogue Shearith Israël de même que l’agence immobilière n’ont pas répondu à nos questions.